Madoff et ses ancêtres

par Jean-Marc Daniel, L’Express, 12/3/2020

 

Avec Les Plus Belles Histoires de l’escroquerie, Christian Chavagneux, éditorialiste de renom, nous L’ESCROQUERIE raconte avec précision quelques arnaques qui ont marqué les annales depuis la fin du XVIIIe siècle. Il commence par l’affaire du collier de la reine, en 1785, et nous mène jusqu’à l’arrestation de Bernard Madoff, en 2008. L’ensemble – passionnant et très instructif – se lit comme un roman tant les histoires racontées sont saisissantes. Et même parfois invraisemblables bien qu’elles soient vraies. Mais ce livre se lit également comme un essai scientifique minutieusement documenté. L’auteur ne se contente pas, en effet, de dresser une galerie de portraits d’arnaqueurs aussi sinistres que hauts en couleur ; il offre également une analyse du contexte qui entoure leurs escroqueries. Ce que montre le livre, c’est que les escroqueries sont profondément liées à l’organisation économique et sociale de l’époque dans laquelle ils s’inscrivent. Cette organisation fournit d’abord à l’escroc ses victimes potentielles, qui ne sont pas les mêmes à la fin du XVIIIe qu’au début du XXIe siècle. Elle sert également de fondement au récit que construit l’escroc pour mener à bien son projet. Ainsi, au XVIIIe siècle, Jeanne de la Motte, qui est au centre de l’affaire du collier de la reine, a pour victime un haut responsable du clergé, à savoir le cardinal de Rohan. Elle lui extorque une somme considérable qu’elle consacrera, selon ses dires, à l’achat d’un bijou pour l’épouse du roi Louis XVI. Au XIXe siècle, on assiste à plusieurs arnaques liées à la colonisation, comme celle de Charles du Breil, qui, entre 1877 et 1882, fait miroiter des profits colossaux à des centaines d’Européens candidats au départ, grâce à la promotion d’une très fictive « colonie libre de Nouvelle France »en Papouasie-Nouvelle- Guinée. Au XXe siècle, les escroqueries se nourrissent de la mondialisation qui voit l’essor des multinationales en même temps que l’émergence des paradis fiscaux. Quant au XXIe siècle naissant, il signe la montée en puissance de la fascination pour les modèles informatiques et la gestion des data. Par-delà l’évolution des formes que prend l’escroquerie à travers les siècles, Christian Chavagneux pointe une certaine permanence dans le profil, non seulement de l’escroc, mais aussi de ses victimes. L’escroc est en général un individu plutôt audacieux, capable de charmer et de convaincre. C’est aussi un aigri qui s’est persuadé que son action malhonnête n’est jamais qu’une forme de réparation. Quant à la victime, c’est souvent sa cupidité qui l’aveugle et la pousse à croire n’importe quel baratin. En fait, si ces filouteries per- durent, c’est qu’elles fournissent une alternative économique aux frustrations morales de ceux qui les élaborent et de ceux qui les subissent.

 

Pour en savoir plus :

CHRISTIAN CHAYACHEUX LES PLUS BELLES HISTOIRES DE LES PLUS BELLES HISTOIRES DE L’ESCROQUERIE. DU COLLIER DE LA REINE À L’AFFAIRE MADOFF, PAR CHRISTIAN CHAVAGNEUX. LE SEUIL, 384 P., 23 €