Je suis bien ému aujourd’hui d’apprendre le décès de Paul Carpentier, Prêtre de l’Oratoire, dans sa 86ème année.

Paul était un Homme libre et cohérent entre ses paroles et ses actes. Je me souviens avec émotion d’une audition qu’il m’avait accordé à Marseille, le 8 novembre 2016. En voici quelques extraits qui restent actuels.

Je vous en propose ci-dessous l’essentiel en hommage à un Homme bon, humain et vrai.

Merci Paul d’avoir été de ceux qui ont porté la bonne nouvelle. Merci d’avoir été celui que tu as été. Merci désormais de veiller sur nous, autrement.

Hugues

Qui es-tu Paul Carpentier ?

Je suis un croyant, un croyant chrétien, un homme libre !

J’ai commencé mon parcours de vie dans une famille chrétienne. J’ai été très marqué par la foi pratiquée au sein de ma famille : la prière quotidienne, la messe du dimanche en famille, l’orientation missionnaire aussi. Dans la famille, nous avions un oncle missionnaire chez les esquimaux. Il était devenu évêque. Il avait une présence extraordinaire. Il était rassembleur.  Il avait toujours plein d’histoires extraordinaires. Il nous subjuguait.

Comment est née ta vocation de prêtre ?

Ma vocation est née le jour où quelqu’un qui se trouvait être un autre oncle, dans une retraite, a dit : « Qui ira porter la bonne nouvelle au bout du monde ? »

J’ai répondu : « Moi, j’irais ! ».

J’ai dit  cela tellement fort qu’autour de moi, personne n’avait entendu.

J’ai alors été trouvé cet oncle pour lui dire de manière plus personnelle : « Moi j’irais ! ». J’avais 12 ans.

Il m’a répondu : « Poursuis tes études. On en reparlera. »

Le bac acquis, après une année de doublement du 1er bac, je me vois encore dans le bureau de mon Père après le bac où j’ai dit : « je vais rentrer chez les Oblats ». C’était à cause de mon oncle. Ma mère était très heureuse. C’était son frère. Me voilà parti chez les Oblats, le 1/11/1952. J’arrive au noviciat des Oblats. Mon oncle m’amène. Je me retrouve le soir dans mon alcôve au sein d’un grand dortoir. Je me dis : « Paul, qu’est-ce que tu fais là ? Ce n’est pas là que tu dois être ! Ce n’est pas possible. » La nuit passe et le lendemain, j’en ai la certitude. Je trouve alors le maitre des novices en lui disant que je ne pourrais pas rester là et pas prendre la soutane. Je rentre donc à la maison au bout de 15 jours, au grand dam de mon Oncle. Mes parents ne m’ont rien dit. Le dimanche qui a suivi mon retour dans ma famille, je me retrouve chez ma grand-mère, à table, comme tous les dimanches. Veuve, elle était habillée en noir, un ruban autour de la gorge, qu’on appelait le soutien-gorge. Mon éducation sexuelle était plus que défaillante ! Elle me dit : « Ah Paul, tu es là ! Comme je suis contente ! » Je découvre alors avec joie une alliée dans la place. J’ai découvert là aussi qu’à travers ma décision de ne pas rester chez les Oblats, j’avais exercé pour la première fois ma liberté. J’avais dit « non » à la pression familiale, en particulier à cet oncle.

J’ai mis un an à savoir où j’allais aller. Un an plus tard, je rencontre le Père Chrétien qui me dit : « Paul, fais ton service militaire. Après, tu seras un homme et tu pourras prendre tes décisions. »  Je ne voulais pas être prêtre diocésain. J’avais l’image d’eux présents dans une Église abandonnée à manger des patates ! Le Père Chrétien m’a finalement proposé de rentrer chez les Oratoriens pendant 2 années, avant de prendre une décision ou non d’aller plus loin. Mon oncle m’a amené un 1er Novembre à Montsoult chez les Oratoriens.  Le soir même de mon arrivée à Montsoult, j’ai dit : « c’est ici qu’il faut que je sois ! » Ma vocation et liberté Oratorienne datent de là. Mais elle a du se préparer durant mes six années scolaires à Saint Martin de Pontoise (1946-1952)

Qu’est-ce qui te rend le plus de satisfaction dans ce que tu vis ?

Je suis plein d’espérance ! Les chrétiens avec qui nous sommes sont d’une gentillesse extraordinaire. Nous faisons  ensemble de la formation biblique à haute dose.

Chaque année, nous prenons un thème de travail biblique sur l’ancien testament, thème qu’on ne connaît pas bien. J’entreprends ce travail avec un petit groupe d’une dizaine de personnes. Par exemple, lors de l’année de la femme, on a pris comme thème « les femmes dans l’Ancien Testament ». On a suivi plusieurs Itinéraire(s) féminin (s) dans l’Ancien Testament. Il y a 25 à 30 personnes associées à ce groupe. Je m’éclate ! La relecture des textes de l’Ancien Testament avec une telle perspective est passionnante.

Une autre année on est partis sur « l’étude de la politique dans l’Ancien Testament », l’organisation de la vie commune, sociale et politique, dans l’Ancien Testament.

C’est extra. Cela représente un gros travail. Je trouve toujours un texte ou deux à proposer aux participants. Après une petite introduction, nous passons ensemble une bonne heure sur la lecture d’un texte afin d’essayer d’en sortir la substantifique moelle.

Le premier texte étudié cette année a été celui de la création où Dieu crée et en même temps il sépare. On a réussi à mettre en évidence la transcendance et l’immanence, le divin et l’humain et lier tout cela à la séparation des pouvoirs : il y a aussi dans l’organisation de la vie commune, sociale et politique une bipolarité, sans que cela soit dit explicitement. Cette séparation dans la création racontée dans l’Ancien Testament n’est pas une confusion. La séparation permet la relation, un face à face entre les humains, entre Dieu et la terre. La séparation correspond à la mise en place de l’espace nécessaire pour qu’il y ait une relation.

Il n’y a pas d’organisation sociale ni  politique sans relation.

Dans l’organisation que Dieu fait, il instaure une hiérarchie qui colle l’homme au sommet.

As-tu assez de temps pour mener à bien tout ce que tu dois faire et si non quelles sont les missions ou tâches chronophages, où tu as peu de valeur ajoutée, que tu pourrais déléguer ou abandonner ?

J’ai une chance extraordinaire aujourd’hui. J’ai plus de temps !  J’ai le temps de lire. Récemment, j’ai lu un livre de Joseph MOINGT, théologien qui doit avoir 100 ans. J’apprécie aussi  John SPONG, évêque anglican américain publié par Robert Dumont : « Né d’une femme » et « La résurrection, mythe ou réalité » sont intéressants à lire. En découvrant ces auteurs, j’ai dû mettre de côté tout ce qu’on m’a enseigné

C’est assez bouleversant !  Tout a été refabriqué au fur et à mesure en fonction de la vie. Cela n’enlève rien à la réalité de la foi.

Qu’est-ce qui est essentiel pour toi ?

C’est l’attachement à Jésus Christ, au vivant, à tout être vivant : Toute vie, quelle qu’elle soit, doit être l’objet de notre attention.  Cette attention, qui peut être écoute, conseil, n’est jamais une prise de possession de celui ou celle à qui on dit quelque chose.

A Marseille, je suis responsable d’accompagner les catéchumènes.  Quand je les rencontre, dans leur demande de baptême ou de communion, je leur dit qu’il est important qu’ils soient libres dans le cheminement de leur conscience :  Qui que tu sois, tu réfléchis, tu pèses le pour et contre, ouvres tes oreilles et ton cœur et prends une décision en pleine conscience ! Si ta décision ne fait pas de mal aux autres, elle ne te fera pas de mal.  C’est une illustration de la liberté qui est essentielle pour moi.

Ma liberté, je la dois à Jésus Christ, par excellence l’Homme libre ! Il s’est libéré de l’emprise des structures, des institutions, des règlements, non pas pour s’en moquer mais pour les empêcher de l’empêcher d’être libre. Par la force de l’amour de Dieu, il s’est libéré de la mort !

 

Quelles sont les valeurs importantes pour toi ?

Je crois à la liberté plus que tout. C’est pour moi fondamental. La liberté correspond bien d’ailleurs à l’histoire de ma vocation de rentrer à l’Oratoire.

Après, cette liberté s’est exercée tout au long de mes études.  En dehors des cours dans le séminaire, nous avions une liberté totale. Par exemple, j’ai pu amener ma sœur dans ma piaule, ce qui ne se faisait pas à l’époque. On m’avait dit : « Mais Frère, il y a une clôture ! » J’avais répondu : « Ah, bon, c’est ma sœur ! »

La Première communauté dont j’ai fait partie était à Domont : il y avait là-bas sept paroisses dont Montsoult. Je suis devenu responsable de la paroisse dont il y avait le séminaire. J’arrive le 2 septembre 1962. Le concile Vatican 2 a démarré en octobre. J’ai enlevé très vite la soutane !

Partout où j’ai été, je me suis senti libre.

Aumônier du lycée de Boulogne Billancourt, j’étais là depuis huit ans. Pierre CLAVEL vient me trouver en me disant : « Paul, avec le conseil, on a pensé que tu pourrais t’en aller comme curé de Villeurbanne. » Je réponds : « Pourquoi pas ? Mais qui va prendre ma place ici ? » Pierre me répond : « N’y compte pas ! »  Je lui dit : « Si on avait été prévenu au début de l’année, on aurait préparé un laïc pour prendre ma succession. » Pierre est venu alors rencontrer l’Équipe Pastorale. On a finalement mis un an à préparer quelqu’un, un grand bonhomme du nord, Patrick LEGRAND. Finalement, peu de temps après, Pierre m’a dit : « tu restes là, mais rencontres tous les mois le conseil paroissial à Villeurbanne ». Un an plus tard, j’ai été nommé curé à Villeurbanne.

J’ai souvent dit cela : « Vous serez vraiment libre quand vous serez capables de dire non à vous-même, puis aux autres. » Pour moi, la liberté, c’est vraiment cela. C’est accepter aussi des choses, c’est de ne pas avoir peur du dialogue en vérité, même si quelques fois, c’est dur et ça fait mal.

Quelle est ta raison d’être ?

Dans le monde ou dans l’Église ?

Les deux !

Proclamer la liberté des enfants de Dieu, au nom de l’amour de Dieu pour tous.

Robert DUMONT et Claude BOTTIN ont écrit en 2000 un beau livre,  « Dieu si grand, Jésus si proche ! » avec la Communion oratorienne, édité par le Cerf : ils ont pris les textes de Bérulle et ont montré que c’était la force de cet homme-là d’avoir tant insisté sur la grandeur de Dieu et la proximité du Dieu fait Homme Jésus.

Quelle est ta vision des défis majeurs qu’il faudra affronter dans les années qui viennent ?

Ce sont les défis d’un monde mondialisé complètement alors que nous ne sommes en France qu’hexagonaux ; ce sont les défis d’un monde commandé par la finance, qu’on le veuille ou non, d’un monde très individualiste, où c’est la pensée et la conscience de chacun qui domine mais où la dimension du bien commun passe en second plan.

Il y a aussi un défi ecclésial : Je ne crois pas aux regroupements des paroisses et congrégations. Par contre, je crois que prêtres et laïcs devraient plus travailler en commun sur les mêmes défis.

En ayant été curé seul et avec une équipe de prêtres et de laïcs, j’ai le sentiment que l’avenir me semble être plutôt du côté des communautés chrétiennes avant d’être aux paroisses hiérarchisées. Je suis convaincu que ce sont les chrétiens qui devraient être à la barre des paroisses et pas simplement leur curé. Une parole de Thérèse BOUSSELET, secrétaire de la paroisse de Boulogne m’avait marqué :  « Je ne suis plus au service des prêtres. Je fais Église avec eux. » Michel Dupuy a réussi à créer un lieu d’Église fantastique en dehors de l’Église, à la Valfine, prophétique en ce sens.

Pour moi, comme prêtre, un défi majeur est de sortir de l’Église. J’avais compris par exemple que ma mission à Antibes n’était pas de remplir l’Église mais de la vider ! Lors des promesses scoutes, l’aumônier était là pour bénir les promesses. J’osais dire qu’une promesse n’était pas là pour être tenue mais faite pour être renouvelée. C’est ce que je crois profondément. Les prêtres sont plus faits pour envoyer les humains dans le monde que pour remplir les Églises. On  se lamente en ce moment parce que les Églises se vident. Elles se vident par le fait que les gens partent discrètement car ils ne comprennent plus rien. On leur fait de la morale, de la piété, pas de la foi et de l’espérance, indispensables pour animer la charité.

La vie communautaire est-elle un pour toi un enjeu majeur ?

C’est la vie qui commande, pas la vie communautaire.  Des personnes  prônent la vie en commun et veulent leur liberté. Cela fait forcément des conflits. Il n’a jamais été facile pour chaque communauté de trouver ce qui va être commun. Ce qui devrait nous être commun est ce qui fait le fondement même de notre vocation : Jésus Christ sauveur et Dieu.

J’aspire personnellement à un temps de prière minimum en commun, mais le bon niveau d’équilibre à trouver n’est pas simple : si c’est trop institutionnalisé, cela finira par nous peser à cause de la routine et si c’est trop laissé à la liberté de chacun, cela va exaspérer différentes personnes.

Le repas communautaire partagé, la table me paraît un temps très important. Si on lit l’Évangile, on pourra s’apercevoir que Jésus Christ est à table tout le temps. L’évangile évoque souvent les repas. J’aspire à ce que les repas soient des moments de convivialité, soient l’occasion d’échanges aussi, pas forcément sur le travail.

Je trouverais intéressant aussi des lieux où l’on puisse partager ce qu’on fait en dehors de ce qui nous est commun : partager des choses pas communes, nos lectures, sorties, rencontres dans la rue, questions qu’on se pose.

Souvent, les réunions de communautés servent à régler uniquement des problèmes d’intendance. C’est dommage.

Je crois à cette idée que les communautés chrétiennes doivent et peuvent se prendre en charge.

Je crois qu’il faut cesser de nommer des curés qui font tout, y compris d’allumer les chaudières.

En synthèse, que souhaites-tu que je retiennes de ton audition, qui pour toi est essentiel ?

Qui ira porter demain la bonne nouvelle ?

Une promesse n’est pas là pour être tenue mais pour être renouvelée. C’est ce que je crois profondément.

 

En bonus : lien vers la dernière méditation biblique de Paul Carpentier