A soixante-dix ans, avec sa belle écriture, sa liberté, ses incorrections, ses indiscrétions, son humour, sa tendresse et son absence totale de complaisance, Catherine Clément partage l’essentiel de sa vie en publiant ses mémoires chez Stock : elle raconte tout aussi bien son intimité familiale qu’elle décrit ses passions pour l’Inde, « pays détesté au départ,… puis paradis ensuite, auquel je me sentais appartenir corps et bien, en y vivant quatre ans », ses passions pour écrire des histoires aussi :
« C’est à Calcutta. Les fêtes de la déesse Dourga ont lieu dans quelques jours. Dans les quartiers des potiers, on prépare ses statues, faites de glaise et de paille. On ne les cuit pas au four. Dès qu’elles sont sèches, on les peint, on les habille, on les maquille, on les bijoute. Quand ces dames sont prêtes, on les installe sur des autels à la croisée des rues. Elles ont des traits connus. Pour récompenser nos actrices, nous avons nos Césars ; Calcutta prime ses stars de cinéma en reproduisant leurs faces sur les milliers de statues de la déesse. Elles sont plus que trois mille. Chacun ira les vénérer au son des tambours. Pour canaliser trois millions de dévots, on fait courir dans les avenues des kilomètres de couloirs en gros bambous solides, gardés par la police. Les plus grands statues ont 5 mètres de haut ; les plus petites, la taille d’un éléphant ; parfois, ce sont des œuvres d’art. Pendant huit jours et huit nuits, les habitants de Calcutta défilent devant la déesse qu’ils appellent leur mère. Au bout de la semaine, marmonnant ses prières, un prêtre capte l’image divine dans un miroir et soudain, hop, le plonge dans l’eau. La déesse est partie. Puisqu’elle n’est plus que glaise inerte et puisque, ruse insigne, elle n’a pas été cuite, on va la jeter au fleuve. Juchées sur les camions, toutes les Dourga courent vers la dissolution ; leurs centaines de bras tremblent sur les essieux. Quand on arrive au fleuve, les déesses font la queue. Pendant ce temps, on danse et les tambours s’excitent. Avec de grands « han », on les descend, à bras. Un, deux, trois… Au Gange ! La glaise se dissout ; pour un instant flottent des cheveux noirs, un bras blanc, un menton avec des lèvres rouges. La fête de la Mère est finie. L’an prochain, on recommencera. »
Catherine Clément reconnait aussi avoir eu la chance d’être formée par trois maîtres de pensée dont elle dresse de beaux portraits : Vladimir Jankélévitch, Jacques Lacan et Claude Lévi-Strauss, « la flamme sous la glace », qu’elle appelle « Papy ».